Le lendemain de la fête

Kaneko avait laissé Yojiro sur un sourire et la promesse de faire en sorte de revenir pour profiter d'une autre promenade, au cours d'une autre soirée, peut-être dans un autre lieu, mais en tout cas en sa compagnie. Elle avait apprécié le geste du courtisan, sa retenue, le respect qu'il venait de lui montrer. Un respect auquel elle n'avait encore jamais eu droit. Son regard lui avait indiqué mieux que n'importe quoi l'alliée qu'il venait de gagner, même si ce détail n'avait peut-être pas encore d'importance à ses yeux. Bayushi Yojiro était bien tel qu'elle l'avait espéré, tel qu'on le décrivait au dojo, et son attitude tout en nuance l'avait touchée. Peu lui importait qu'on le dise faible et indigne de son clan, elle pensait que c'était quelqu'un de bien, et qu'il n'avait rien de commun avec certains abrutis congénitaux qu'elle avait dû subir pendant ses années à Ryoko Owari Toshi.
Oui, elle ferait son possible pour revenir et faire une autre promenade avec ce samurai délicat qui la traitait avec respect...

Elle s'était retirée en compagnie de sa soeur dans leur chambre. Les jumelles avaient préparé leurs affaires, s'étaient couchées et levées le lendemain aux aurores pour être prêtes en temps et en heure, avaient avalé un rapide petit déjeuner. Elles se rendirent à la salle de banquet en silence, y entrèrent et s'avancèrent dans la pièce désertée par ses occupants de la veille. Kaneko perçut un mouvement derrière le paravent dans le fond, indiqua l'endroit d'un signe de tête à Kameko, puis elles prirent place sans mot dire à proximité. L'une d'entre elles prit la théière, remplit les tasses. Les deux soeurs attendirent en silence la suite des événements.

Naizen entendit Kensaku se lever et se préparer. Il attendit que celui-ci soit près, sorti de sa méditation et salua le samouraï :

Bonjour Bayushi san, une dure journée nous attend. Je vous propose d'aller nous restaurer, ce sera sûrement notre dernier repas au Kyuden Bayushi avant longtemps.

Naizen appela un heimin, lui remit ses affaires et lui dit qu'il devait les suivre jusqu'à la salle de réception. Une fois là bas, il devrait attendre en dehors de la salle en se faisant le plus discret possible.

Et surtout, prend soin de mon katana (il avait envelopper celui-ci dans une étoffe afin que le heimin ne pose pas les mains dessus) !

On ne savait pas comment allaient évoluer les événements, et Naizen voulait être près s'il fallait partir tout de suite après le discours de Taberu.

Kensaku avait à peine terminé de se préparer que Naizen interrompait sa méditation et lui proposait d'aller se restaurer.

"Bonjour Bayushi-san." dit-il en s'inclinant respectueusement, un léger sourire aux lèvres. "Je suis tout à fait d'accord avec vous : allons nous restaurer. Mieux vaut profiter d'un bon repas tant que nous en avons encore l'occasion."

Il se leva et sortit du dortoir en compagnie de Naizen. Quand ils arrivèrent dans la pièce, nombre des personnes qu'ils avaient aperçu la veille attendaient déjà. Ils allèrent s'installer à une table et Kensaku demanda à un des heimins de leur apporter du thé.

Cependant au bout de quelques temps, un bruit se fit entendre au delà du paravent. Deux hommes s'approchérent de celui ci, le repliérent dans un coin de la piéce et disparurent par les portes qui se verrouillérent dérriére eux.

Bayushi Yojiro et Shosuro Taberu regardérent les invités en silence, puis enfin Taberu se leva.

- Samourais, le temps est venu de vous en dire plus sur les récents événements.
A Ryoko Owari, quatre marchands du clan ont été retrouvés morts dans leur entrepot. La mort remontait à plusieurs jours et l'entrepot a été vidé. Un groupe devra se rendre là bas, et mener l'enquête. Une autre enquête est en cours par la magistrature d'Emeraude, ils devront ignorés tout de notre propre action.
Le second groupe devra lui enquêter sur la disparition de deux caravanes qui empruntaient la voie Doro Ichido Kakusu.

Taberu se rassit, tandis que Yajiro ajoutait.

- Nous allons maintenant répondre à vos questions, ensuite nous vous laisserons vous organiser pour votre répartition et vos voyages.

Il y eut un silence pendant lequel les deux soeurs se regardèrent et hochèrent la tête de concert, puis Kaneko s'inclina très bas et salua les deux hommes qui faisaient face au groupe. Elle garda les yeux modestement baissés, et un sourire délicieux sur ses lèvres ourlées de rouge, tandis que sa voix douce et parfaitement posée s'élevait dans la salle.

- Bayushi Taberu sama, Bayushi Yojiro sama, je vous souhaite tout d'abord le bonjour. J'espère que la soirée a été pour vous aussi agréable qu'elle l'a été pour nous. Nous n'avons pas eu l'opportunité de dire combien l'hospitalité et les délices que la famille Bayushi a offerts à nos modestes personnes nous ont touchés, aussi permettez-moi humblement de vous adresser, au nom de mes camarades, nos plus vifs remerciements. Je suis persuadée que l'expression de notre gratitude saura trouver un chemin jusqu'aux oreilles de Bayushi Shoju dono.

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Elle s'inclina de nouveau avec déférence, puis posa ses mains fines sur la soie de son kimono et dit :

- En tout premier lieu, vous serait-il possible de nous dire comment ces marchands sont morts, et ce qui a été dérobé dans l'entrepôt ?

Taberu sourit devant les salutations et les compliments de la jeune femme. Il prit ensuite la parole pour répondre au mieux.

- Les quatres marchands ont été retrouvés dans leur entrepot, ils ont eu la gorge tranchée aprés avoir été suspendu par les pieds. On n'a cependant retrouvé aucune trace de sang dans tout l'entrepot.
On sait pas ce qui a été dérobé dans l'entrepot, on sait juste qu'il y a eu vol car une livraison importante avait eu lieu peu de temps avant.
Et bien qu'aucune caravane n'ait quitté l'endroit, l'entrepot a été retrouvé vide et les papiers des marchands étaient sans dessus dessous.

Yojiro qu'à lui était resté silencieux profitant de ce moment pour remplir de thé, sa tasse et celle de Taberu, qui le remercia silencieusement d'un geste de la tête.

Quand le paravent fut retiré, Naizen posa sa tasse de thé, se leva et se tourna vers les deux samouraïs qui venaient de se lever. Il s'inclina pour les saluer puis écouta ce qu'ils avaient à dire.

Kaneko prit ensuite la parole pour demander des informations sur la scène de l'entrepot. Il remarqua en passant qu'elle était vraiment douée pour prendre la parole en public et faire des compliments.
Cette femme doit être une courtisane redoutable pensa-t-il.

Enfin Naizen prit la parole :

- Y a-t-il des similitudes dans les deux affaires ? Des traces de sang ont-elles été relevées sur le lieu de la disparition des deux caravanes ou bien se sont-elles tout simplement volatilisées sans laisser d'indices ?

Une fois encore, c'est Taberu qui répondit.

- Les caravanes se sont purement et simplement envolées. On connait le dernier point où elles ont été vues, et rien d'autre.
Cependant nous pensons à un lien car ce sont ces mêmes marchands qui étaient responsables de l'envoi de celles ci.

Il prit sa tasse et y trempa délicatement les lèvres, le liquide était encore trop chaud pour être bu, mais ce simple geste lui donnait le temps d'attendre la prochaine intervention.

Katsumi s'était joint aux autres élèves pour écouter Shosuro Taberu et Bayushi Yojiro. Ils venaient de leur donner le contenu des deux missions qu'ils auraient à remplir. Déjà, deux élèves s'étaient montrés intéressés en posant des questions des plus pertinentes.
Pour Katsumi, un détail lui sauta aux yeux. Aucune trace de sang n'avait été retrouvée dans l'entrepôt, et les cadavres en étaient vides. Fait étrange, lorsque l'on sait que sous la pression sanguine et la force de propulsion du coeur, qu'égorger quelqu'un en fait un acte loin d'être propre, le sang giclant dans toutes les directions.
A son tour, Katsumi prit la parole :

- Shosuro Taberu sama, Bayushi Yojiro sama, concernant les meurtres des marchands dans l'entrepôt, les premières enquêtes ont-elles révélées si les marchands ont été tués dans l'entrepôt même, et ce après avoir été pendus par les pieds ? Pour être plus précise, l'égorgement dans de telles conditions aurait immanquablement laissé des traces. Dans ce cas, les marchands n'auraient-ils pas pu être tués dans un autre endroit, avant d'être amenés dans l'entrepôt pour y être pendus, une fois vidés de leur sang, pour brouiller les pistes ? A-t-on trouvé des marques sur les corps laissant présager qu'ils ont été déplacés après leur mort ?

Kaneko réfléchissait à un détail qui la chiffonnait. Pour elle, les marchands n'avaient pas été tués dans l'entrepôt et en cela, elle rejoignait les conclusions de Katsumi. Mais quelque chose dans ce qu'avait dit Taberu au début de la conversation lui trottait dans la tête, et elle fit un signe discret pour prendre à son tour la parole, évitant ainsi de couper le courtisan dans sa réponse.

- Ce que j'aimerais également savoir, Bayushi sama, et cela est sans doute en lien étroit avec la question de Katsumi sama, c'est pourquoi la magistrature d'émeraude s'intéresse à la mort de deux marchands du clan du Scorpion et à la disparition des marchandises qui se trouvaient dans cet entrepôt... Ce ne sont pas des crimes qui relèvent de sa juridiction, mais de celle de la magistrature de clan. Alors pourquoi dans ce cas mener l'enquête... à moins que l'affaire ne soit plus délicate qu'il n'y paraît ? Auquel cas les talents de Yogo sama vont se révéler précieux.

Elle venait d'insinuer qu'un danger, peut-être plus grand que le simple crime de sang de quelques voleurs, pouvait être présent. Sa voix était toujours aussi calme et douce, mais la question était posée. Il y avait de nombreuses raisons pour que la magistrature d'émeraude se mêle de cette affaire, mais une seule retenait véritablement son attention. Se pouvait-il que la maho soit à l'oeuvre ?

Quand le paravent avait été retiré, Kensaku s'était prosterné sur le sol pour saluer Bayushi Yojiro et Shosuro Taberu. Il avait ensuite écouté Shosuro Taberu leur narrer les évènements à l'origine de leur mission.

Kensaku méditait encore sur les paroles de Shosuro Taberu quand les premières questions commencèrent à fuser des rangs des jeunes samourais. Leurs questions rejoignaient celles que se posait Kensaku : où et comment les marchands avaient-ils été tués ? Pourquoi s'était-t-on donné le mal de les transporter dans l'entrepôt puisqu'apparemment, ce n'est pas là qu'ils avaient été tués ? Que contenaient les caravanes et l'entrepôt ? Et surtout que venait chercher la magistrature d'Emeraude dans une affaire qui de prime abord ne concernait que le clan du Scorpion ?

Comme il en avait déjà eu l'intuition la veille, l'affaire se révélait complexe et probablement dangereuse.

Quand le silence revint dans la salle, Kensaku prit la parole :

"Pourriez-vous nous en dire plus sur ces marchands : Qui étaient-ils ? Appartenaient-ils au clan ? Dans quel type de commerce étaient-ils généralement impliqués ?"

Taberu prit les questions dans l'ordre avant d'y répondre.

- Bayushi San, à ma connaissance, aucune trace ne semble étayer la thése du déplacement des corps. Il semblerait qu'ils ne soient nullement sorti de l'entrepot.

Taberu marqua un long silence comme s'il cherchait ses mots avant de répondre à Kaneko.

- Shosuro San, il semblerait que les marchands en question faisaient le commerce de certains marchandises qui tombent sous la juridiction d'Emeraude et bien sur, l'absence de sang leur a fait échaffauder quelques théories.

Taberu avait parlé d'une voix lente, appuyant chaque mot comme s'il avait tous une importance capitale.
Le courtisan se tourna ensuite vers le bushi.

- Bayushi San, les marchands appartenaient tous trois à notre clan. Quant à leur commerce ...

Taberu laissa un temps avant de finir sa phrase.

- ... nous n'en connaissons pas toute l'étendue.

- Shosuro sama, vous dites connaître les derniers endroits où ont été vu les caravanes. Serait-il possible de nous les indiquer afin que nous puissions nous rendre sur les lieux le plus vite possible ?

- Vous avez également parlé d'une livraison importante concernant l'entrepôt. Peut-on savoir qu'elles étaient les marchandises transportées dans cette livraison. Ou alors connaître de quelle nature elles étaient : alimentaire ? armement ? Fourrure ? outils ? ...

Naizen, voyait bien que nombre de choses étaient cachées aux jeunes samouraïs. Qu'à cela ne tienne, ils découvriraient la vérité par eux même et prouveraient leur efficacité et leur bravoure à leur daimyo.

Taberu se tourna vers le nouveau intervenant pour lui répondre.

- Les caravanes ont toutes passées la nuit dans le petit village de Tataku dans les montagnes. (HRP : Je vous renvoie sur ce post pour la géographie) C'est un petit village tranquille qui vit de la récolte de plantes rares et de la chasse de certains gibiers de montagnes.
Mais elles n'ont jamais atteint le village de Yukino situé à 5h de marche.

Il laissa un silence.

- Quand aux marchandises, nous ne savons pas ce que l'entrepot contenait. Nous connaissons ces marchands car ils leur arrivaient de transporter pour le clan.

- Il serait donc de bonne augure qu'un des samouraïs ici présent ai un don pour la chasse. Dans quel cas il serait judicieux qu'il se joigne au groupe qui parcourerait la voie Doro Ichido Kakusu. Je propose également de me joindre à ce groupe.

Naizen parcouru la salle du regard pour voir si un samouraï présent pouvait être un chasseur. Il se demandait également si d'autres avaient encore des questions à poser. La clef devrait être dans les marchandises présentent dans l'entrepot au moment du vol. Mais comment formuler la question pour amener Taberu et Yojiro à répondre, tout cela sans les froisser ?

Le silence se fit et Kaneko constata avec surprise que personne ne semblait désireux de le briser. Elle n'était cependant pas sûre que ce soit la bonne politique à adopter avec les deux courtisans face à eux. Le bruit du thé remplissant sa tasse et celle de sa soeur résonna soudain dans la salle et elle dit d'une voix toujours aussi douce et caressante, les yeux légèrement baissés :

- Je ne pourrai personnellement vous être d'aucune utilité sur ce sujet, Bayushi san, et je suis d'avis de réfléchir à cela peut-être un peu plus tard, lorsque nous en saurons plus à propos des affaires qui nous préoccupent.

Elle reposa sans bruit la théière sur la table et regarda sa soeur, qui hocha la tête comme pour approuver. Elle se tourna alors vers les deux hommes et leur sourit.

- Pourriez-vous s'il vous plaît, nous dire ce que vous savez au sujet des marchands qui ont été retrouvés morts dans leur entrepôt ?